Vers quelques pistes pédagogiques
Après la lecture de "Sobibor", deux pistes pédagogiques particulièrement pertinentes et en adéquation avec le livre me sont venues à l'esprit.
Premièrement, nous pourrions aborder, à travers ce que vit Emma, le schéma narratif.
J'ai également envie de travailler sur le journal que notre héroïne découvre: l'intégrer dans une séquence sur les récits de vie me parait alors judicieux.
J'ai également envie de travailler sur le journal que notre héroïne découvre: l'intégrer dans une séquence sur les récits de vie me parait alors judicieux.
Zoom sur le schéma narratif
Commençons par une mise en contexte de la leçon.
Contexte et caractéristiques du public
Nous pourrions aborder cette leçon avec des publics assez variés:
- Première et deuxième années différenciées (avec des classes ayant tout de même un assez bon niveau)
- Première année générale
- Deuxième année générale
Compétences tirées du programme
Au terme de la leçon, l'élève sera capable de:
- Repérer les différents personnages d'un récit.
- Repérer leurs actions et les relations qu'ils entretiennent entre eux.
- Établir les relations qu'ils entretiennent avec le héros.
- Expliquer à quoi sert le schéma narratif pour la compréhension et la rédaction d'un récit.
Objectif opérationnel
Au terme de la leçon, l'élève sera capable de dresser le schéma narratif d'un récit.
Le schéma narratif dans "Sobibor"
La situation de départ
Emma est une jeune fille ordinaire, elle va à l'école, a des amis et même un petit copain. Elle est très proche de ses grands-parents, surtout de sa grand-mère à qui elle voue beaucoup d'admiration.
L'élément perturbateur
La grand-mère d'Emma décède. Emma commence à sentir mal: elle perd du poids, commence à se faire vomir, quitte son petit ami et vole dans un magasin. Dans un même temps, elle découvre également un journal.
Les péripéties
À travers la lecture du journal, le lecteur assiste aux prises de conscience d'Emma et à ses bouleversements, suite aux épreuves vécues par ses grands-parents et décrites dans le journal.
Le dénouement
Emma finit par se rendre compte que son grand-père est en réalité l'un des chefs nazis du camp de Sobibor. Elle décide alors de prendre son grand-père de front pour se délivrer du mal qui la détruisait peu à peu.
La situation finale
Les sombres secrets de famille ont finalement été découverts et Emma peut enfin tenter d'évoluer et de revivre normalement.
Zoom sur les récits de vie
Encore une fois, nous commencerons par une mise en contexte de la leçon
Contexte et caractéristiques du public
- Deuxième année générale
- Troisième année générale
Compétences tirées du programme
Au terme de la leçon, l'élève sera capable de:
- Identifier l'intention de l'auteur et la structure du texte.
- Orienter son écrit en fonction de la situation de communication: le projet du scripteur.
- Rédiger des textes à structure narrative.
Objectif opérationnel
Au terme de la leçon, l'élève sera capable de rédiger une partie de son journal intime.
On pourrait, par exemple, utiliser un extrait du chapitre 10: la note du 21 février 2015.
Les élèves devraient identifier le narrateur, l'auteur et le protagoniste du journal afin de mettre en évidence qu'il s'agit d'une seule et même personne.
Ils seraient également invités à trouver l'intention dominante du texte et de justifier leur réponse.
Au niveau plus transversal, il serait intéressant de mener, en parallèle, des recherches avec les élèves sur le pourquoi du journal intime d'un officier dans un camp de concentration et sur Sobibor en lui-même: est-ce un lieu réel? où est-il situé? Les personnages de l'histoire ont-ils existé?
« Sobibor » évoque deux thèmes poignants et déchirants : d’une part l’horreur des camps de concentration et d’autre part, l’anorexie. Lier ainsi ces deux thématiques n’était pas gagné dès le départ et j’avoue avoir été, au début, quelque peu septique. Cependant quand on prend le parti de réfléchir en amont et que l’on se tourne vers quelques théories psychanalytiques, cela se tient.
En effet, Emma devient anorexique car au fond d’elle-même, elle sait qu’un profond secret de famille se cache et la détruit à petit feu. Une lutte d’Emma contre elle-même en somme.
Retrouver un corps de petite fille, refuser de grandir… lui permet de ne pas voir la réalité en face et de continuer à vivre dans un déni pour le moins destructeur.
Françoise Dolto aurait eu cette phrase que je trouve ici particulièrement appropriée: "L'enfant a toujours l'intuition de son histoire. Si la vérité lui est dite, cette vérité le construit".
Le problème majeur est que les grands-parents d'Emma ne lui en ont jamais soufflé mot. Pourtant d'une manière inconsciente, elle connaissait la terrible vérité. Elle s'afflige donc ses propres souffrances, symptômes d'un lointain refoulement psychique. Elle l'écrit d'ailleurs: "Est-ce qu'on peut savoir ce qu'on ignore? Ca peut sembler idiot d'écrire cela, et pourtant... Je crois que j'ai toujours su ce qui était tu". Cela lié à l'entrée dans l'adolescence, ça ne pouvait que provoquer d'effroyables dégâts.
L'anorexie est aussi une solution au fait de ne vouloir plus rien ressentir. Emma le prouve en écrivant: "Ataraxie, anorexie, oubli. Mon tiercé gagnant". Les trois sont étroitement liés et bien qu'ataraxie signifie absence de troubles, l'anorexie offre à l'adolescente un échappatoire, un vide profond, saisissant, d'elle à elle mais aussi des autres à elle, autres qui ont souvent un regard fuyant et tentent de ne rien voir. Ainsi ses propres parents feront comme si de rien n'était. Plus facile...
Un oubli pour elle mais pas pour son grand-père: "Il n'y a pas de pardon possible pour ce que tu as fait, pas de prescription, pas de compréhension. Pas d'oubli..." Paradoxalement, ce non-oubli-là, elle ne peut le noyer dans sa souffrance et c'est finalement ce qui la sauvera.
Emma est donc anorexique car il y a des événements dans sa vie qu'elle ne peut métaboliser et qu’inconsciemment, elle rejette d'un bloc.
À ce propos, la théorie d'un certain Wilfried Bion, psychanalyste de son état, peut nous être utile.
En effet, dans ses travaux, il évoque la "fonction Alpha". Pour faire simple, cette fonction consiste à métaboliser ses perceptions pour leur donner une forme que l'on peut utiliser.
Ces éléments sont dits "éléments Bêta" et le rôle de la fonction Alpha est de justement les transformer en "éléments Alpha", de les ingérer en quelque sorte. Pour utiliser une simple métaphore, il faut imaginer un passe-tomate: les tomates sont à la base des éléments Bêta que l'on passe dans le passe-tomate, ce qui en ressort constitue les éléments Alpha. Par contre, inévitablement, il reste toujours des pépins dans le passe-tomate et c'est là que ça coince. Ces éléments non-ingérés peuvent créer de graves symptômes d'où l'anorexie d'Emma.
Il aura fallu à Emma, pour exorciser sa souffrance, effectuer un véritable saut dans le passé, une quête de l'origine de son mal-être. Peut-être la fin sonne-t-elle comme un ode à l'espoir. C'est en tout cas, tout ce que nous lui souhaitons.
On pourrait, par exemple, utiliser un extrait du chapitre 10: la note du 21 février 2015.
Les élèves devraient identifier le narrateur, l'auteur et le protagoniste du journal afin de mettre en évidence qu'il s'agit d'une seule et même personne.
Ils seraient également invités à trouver l'intention dominante du texte et de justifier leur réponse.
Au niveau plus transversal, il serait intéressant de mener, en parallèle, des recherches avec les élèves sur le pourquoi du journal intime d'un officier dans un camp de concentration et sur Sobibor en lui-même: est-ce un lieu réel? où est-il situé? Les personnages de l'histoire ont-ils existé?
Réflexions psychanalytiques
« Sobibor » évoque deux thèmes poignants et déchirants : d’une part l’horreur des camps de concentration et d’autre part, l’anorexie. Lier ainsi ces deux thématiques n’était pas gagné dès le départ et j’avoue avoir été, au début, quelque peu septique. Cependant quand on prend le parti de réfléchir en amont et que l’on se tourne vers quelques théories psychanalytiques, cela se tient.
En effet, Emma devient anorexique car au fond d’elle-même, elle sait qu’un profond secret de famille se cache et la détruit à petit feu. Une lutte d’Emma contre elle-même en somme.
Retrouver un corps de petite fille, refuser de grandir… lui permet de ne pas voir la réalité en face et de continuer à vivre dans un déni pour le moins destructeur.
Françoise Dolto aurait eu cette phrase que je trouve ici particulièrement appropriée: "L'enfant a toujours l'intuition de son histoire. Si la vérité lui est dite, cette vérité le construit".
Le problème majeur est que les grands-parents d'Emma ne lui en ont jamais soufflé mot. Pourtant d'une manière inconsciente, elle connaissait la terrible vérité. Elle s'afflige donc ses propres souffrances, symptômes d'un lointain refoulement psychique. Elle l'écrit d'ailleurs: "Est-ce qu'on peut savoir ce qu'on ignore? Ca peut sembler idiot d'écrire cela, et pourtant... Je crois que j'ai toujours su ce qui était tu". Cela lié à l'entrée dans l'adolescence, ça ne pouvait que provoquer d'effroyables dégâts.
L'anorexie est aussi une solution au fait de ne vouloir plus rien ressentir. Emma le prouve en écrivant: "Ataraxie, anorexie, oubli. Mon tiercé gagnant". Les trois sont étroitement liés et bien qu'ataraxie signifie absence de troubles, l'anorexie offre à l'adolescente un échappatoire, un vide profond, saisissant, d'elle à elle mais aussi des autres à elle, autres qui ont souvent un regard fuyant et tentent de ne rien voir. Ainsi ses propres parents feront comme si de rien n'était. Plus facile...
Un oubli pour elle mais pas pour son grand-père: "Il n'y a pas de pardon possible pour ce que tu as fait, pas de prescription, pas de compréhension. Pas d'oubli..." Paradoxalement, ce non-oubli-là, elle ne peut le noyer dans sa souffrance et c'est finalement ce qui la sauvera.
Emma est donc anorexique car il y a des événements dans sa vie qu'elle ne peut métaboliser et qu’inconsciemment, elle rejette d'un bloc.
À ce propos, la théorie d'un certain Wilfried Bion, psychanalyste de son état, peut nous être utile.
En effet, dans ses travaux, il évoque la "fonction Alpha". Pour faire simple, cette fonction consiste à métaboliser ses perceptions pour leur donner une forme que l'on peut utiliser.
Ces éléments sont dits "éléments Bêta" et le rôle de la fonction Alpha est de justement les transformer en "éléments Alpha", de les ingérer en quelque sorte. Pour utiliser une simple métaphore, il faut imaginer un passe-tomate: les tomates sont à la base des éléments Bêta que l'on passe dans le passe-tomate, ce qui en ressort constitue les éléments Alpha. Par contre, inévitablement, il reste toujours des pépins dans le passe-tomate et c'est là que ça coince. Ces éléments non-ingérés peuvent créer de graves symptômes d'où l'anorexie d'Emma.
Il aura fallu à Emma, pour exorciser sa souffrance, effectuer un véritable saut dans le passé, une quête de l'origine de son mal-être. Peut-être la fin sonne-t-elle comme un ode à l'espoir. C'est en tout cas, tout ce que nous lui souhaitons.
Source
Manfredini T., Notes de cours de dynamique des groupes, ULG, 2014-2015
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