vendredi 24 avril 2015

"Sobibor" - Jean Molla



Vers quelques pistes pédagogiques

Après la lecture de "Sobibor", deux pistes pédagogiques particulièrement pertinentes et en adéquation avec le livre me sont venues à l'esprit.

Premièrement, nous pourrions aborder, à travers ce que vit Emma, le schéma narratif.
J'ai également envie de travailler sur le journal que notre héroïne découvre: l'intégrer dans une séquence sur les récits de vie me parait alors judicieux.

Zoom sur le schéma narratif

Commençons par une mise en contexte de la leçon.

Contexte et caractéristiques du public
Nous pourrions aborder cette leçon avec des publics assez variés:
  • Première et deuxième années différenciées (avec des classes ayant tout de même un assez bon niveau)
  • Première année générale
  • Deuxième année générale
Compétences tirées du programme
Au terme de la leçon, l'élève sera capable de:
  • Repérer les différents personnages d'un récit.
  • Repérer leurs actions et les relations qu'ils entretiennent entre eux.
  • Établir les relations qu'ils entretiennent avec le héros.
  • Expliquer à quoi sert le schéma narratif pour la compréhension et la rédaction d'un récit.
Objectif opérationnel
Au terme de la leçon, l'élève sera capable de dresser le schéma narratif d'un récit.

Le schéma narratif dans "Sobibor

La situation de départ
Emma est une jeune fille ordinaire, elle va à l'école, a des amis et même un petit copain. Elle est très proche de ses grands-parents, surtout de sa grand-mère à qui elle voue beaucoup d'admiration.

L'élément perturbateur
La grand-mère d'Emma décède. Emma commence à sentir mal: elle perd du poids, commence à se faire vomir, quitte son petit ami et vole dans un magasin. Dans un même temps, elle découvre également un journal.

Les péripéties
À travers la lecture du journal, le lecteur assiste aux prises de conscience d'Emma et à ses bouleversements, suite aux épreuves vécues par ses grands-parents et décrites dans le journal.

Le dénouement
Emma finit par se rendre compte que son grand-père est en réalité l'un des chefs nazis du camp de Sobibor. Elle décide alors de prendre son grand-père de front pour se délivrer du mal qui la détruisait peu à peu.

La situation finale
Les sombres secrets de famille ont finalement été découverts et Emma peut enfin tenter d'évoluer et de revivre normalement.

Zoom sur les récits de vie

Encore une fois, nous commencerons par une mise en contexte de la leçon

Contexte et caractéristiques du public
  • Deuxième année générale
  • Troisième année générale
Compétences tirées du programme
Au terme de la leçon, l'élève sera capable de:
  • Identifier l'intention de l'auteur et la structure du texte.
  • Orienter son écrit en fonction de la situation de communication: le projet du scripteur.
  • Rédiger des textes à structure narrative.
Objectif opérationnel
Au terme de la leçon, l'élève sera capable de rédiger une partie de son journal intime.

On pourrait, par exemple, utiliser un extrait du chapitre 10: la note du 21 février 2015.
Les élèves devraient identifier le narrateur, l'auteur et le protagoniste du journal afin de mettre en évidence qu'il s'agit d'une seule et même personne.
Ils seraient également invités à trouver l'intention dominante du texte et de justifier leur réponse.
Au niveau plus transversal, il serait intéressant de mener, en parallèle, des recherches avec les élèves sur le pourquoi du journal intime d'un officier dans un camp de concentration et sur Sobibor en lui-même: est-ce un lieu réel? où est-il situé? Les personnages de l'histoire ont-ils existé?


Réflexions psychanalytiques


« Sobibor » évoque deux thèmes poignants et déchirants : d’une part l’horreur des camps de concentration et d’autre part, l’anorexie. Lier ainsi ces deux thématiques n’était pas gagné dès le départ et j’avoue avoir été, au début, quelque peu septique. Cependant quand on prend le parti de réfléchir en amont et que l’on se tourne vers quelques théories psychanalytiques, cela se tient.
En effet, Emma devient anorexique car au fond d’elle-même, elle sait qu’un profond secret de famille se cache et la détruit à petit feu. Une lutte d’Emma contre elle-même en somme.
Retrouver un  corps de petite fille, refuser de grandir… lui permet de ne pas voir la réalité en face et de continuer à vivre dans un déni pour le moins destructeur.

Françoise Dolto aurait eu cette phrase que je trouve ici particulièrement appropriée: "L'enfant a toujours l'intuition de son histoire. Si la vérité lui est dite, cette vérité le construit".
Le problème majeur est que les grands-parents d'Emma ne lui en ont jamais soufflé mot. Pourtant d'une manière inconsciente, elle connaissait la terrible vérité. Elle s'afflige donc ses propres souffrances, symptômes d'un lointain refoulement psychique. Elle l'écrit d'ailleurs: "Est-ce qu'on peut savoir ce qu'on ignore? Ca peut sembler idiot d'écrire cela, et pourtant... Je crois que j'ai toujours su ce qui était tu". Cela lié à l'entrée dans l'adolescence, ça ne pouvait que provoquer d'effroyables dégâts.

L'anorexie est aussi une solution au fait de ne vouloir plus rien ressentir. Emma le prouve en écrivant: "Ataraxie, anorexie, oubli. Mon tiercé gagnant". Les trois sont étroitement liés et bien qu'ataraxie signifie absence de troubles, l'anorexie offre à l'adolescente un échappatoire, un vide profond, saisissant, d'elle à elle mais aussi des autres à elle, autres qui ont souvent un regard fuyant et tentent de ne rien voir. Ainsi ses propres parents feront comme si de rien n'était. Plus facile...
Un oubli pour elle mais pas pour son grand-père: "Il n'y a pas de pardon possible pour ce que tu as fait, pas de prescription, pas de compréhension. Pas d'oubli..." Paradoxalement, ce non-oubli-là, elle ne peut le noyer dans sa souffrance et c'est finalement ce qui la sauvera.

Emma est donc anorexique car il y a des événements dans sa vie qu'elle ne peut métaboliser et qu’inconsciemment, elle rejette d'un bloc.
À ce propos, la théorie d'un certain Wilfried Bion, psychanalyste de son état, peut nous être utile.
En effet, dans ses travaux, il évoque la "fonction Alpha". Pour faire simple, cette fonction consiste à métaboliser ses perceptions pour leur donner une forme que l'on peut utiliser.
Ces éléments sont dits "éléments Bêta" et le rôle de la fonction Alpha est de justement les transformer en "éléments Alpha", de les ingérer en quelque sorte. Pour utiliser une simple métaphore, il faut imaginer un passe-tomate: les tomates sont à la base des éléments Bêta que l'on passe dans le passe-tomate, ce qui en ressort constitue les éléments Alpha. Par contre, inévitablement, il reste toujours des pépins dans le passe-tomate et c'est là que ça coince. Ces éléments non-ingérés peuvent créer de graves symptômes d'où l'anorexie d'Emma.

Il aura fallu à Emma, pour exorciser sa souffrance, effectuer un véritable saut dans le passé, une quête de l'origine de son mal-être. Peut-être la fin sonne-t-elle comme un ode à l'espoir. C'est en tout cas, tout ce que nous lui souhaitons.

Source
Manfredini T., Notes de cours de dynamique des groupes, ULG, 2014-2015


mercredi 8 avril 2015

"Junk" - Melvin Burgess


Un avis, mon avis

La drogue fascine tellement de gens, jeunes ou moins jeunes. Pourquoi apparaît-elle comme une solution ou un échappatoire? Et solution à quoi, d'abord?
Vous me direz, c'est pareil avec la cigarette ou l'alcool... Mais de là à s'injecter, dans son propre corps, une substance dont le seul rôle est souvent de détruire...
Pour Nico, cela peut encore se comprendre: un père violent, une mère sombrant peu à peu dans l'alcoolisme. On comprend d'emblée que la vie n'est pas facile tous les jours, pour lui.
Mais Gemma, Gemma... Je l'ai d'abord détestée... Nous verrons bien par la suite.

De prime à bord, je dois avouer que ce livre ne m'enchante pas. C'est d'ailleurs le seul ouvrage de la liste qui me rebute quelque peu. Je me souviens vaguement avoir lu, beaucoup plus jeune, un autre livre écrit par Melvin Burgess. Je me rappelle n'avoir pas franchement aimé le style de l'auteur. Peut-être étais-je trop jeune pour l'apprécier...
Même la thématique ne me ravit pas. En général, les livres ou les films abordant le thème de la drogue tombent toujours dans un côté mélodramatique et assez moralisateur. 

Enfin bref, plongeons au cœur du roman!

D'abord, il faut savoir que chaque chapitre de ce livre est raconté par des personnages différents, ce qui nous fait forcément découvrir les divers points de vues et réflexions associés aux personnages. J'aime beaucoup cette manière de fonctionner, un bon point pour l'auteur donc!
Tout commence avec deux adolescents, Nico et Gemma, qui veulent s'enfuir de chez eux, l'un pour une bonne raison, l'autre par ennui et défi vis-à-vis de ses parents. S'enchaînent alors de multiples aventures et péripéties mélangeant punk, squat, amour...
Evidemment, arrive très vite le moment tant redouté, celui où nos deux protagonistes goûtent à l'héroïne et deviennent de véritables junkies. Nous assistons alors, impuissants, à des sevrages, rechutes, changements de personnalité...

L'histoire tourne principalement autour de Gemma. J'ai eu beaucoup de mal à accrocher avec ce personnage. Selon moi, elle n'a tout simplement aucune raison valable pour faire ce qu'elle fait et sa "fugue" ressemble davantage à un caprice qu'à une réelle nécessité. Elle m'agace, m'insupporte!
Ses amis, en comparaison, sont usés jusqu'à la moelle, l'existence n'ayant pas été tendre envers eux. Mais elle? Aucune excuse! Et non, s'amuser n'en constitue pas une.
Je m'identifie bien plus à Nico.

Le récit prend, ensuite, un autre tournant lorsque Gemma rencontre Lily chez qui Nico et elle vont aller vivre. Les deux filles deviennent vite inséparables. C'est également là que le couple fera connaissance avec l'héroïne. L'auteur ne nous épargne rien: prostitution, overdoses, grossesses précoces...

En définitive. Gemma redevient la fille chérie de ses parents et reprend un semblant de vie tandis que pour Nico, entre sevrages et rechutes, rien n'est moins sûr. 

J'ai, tout compte fait, apprécié ce livre choc. Il est très bien raconté et très réaliste, sans pour autant prendre ce côté moralisateur que je déteste. Toutefois, il ne faut pas se leurrer: dérangeant, il l'est.
Le but de l'auteur est parfaitement atteint et en totale adéquation avec la citation que la quatrième de couverture: "Je pense qu'il est préférable que les jeunes n'entendent pas parler de la drogue pour la première fois le jour où quelqu'un essaiera de leur en vendre".

Analyse de différentes premières de couverture

En faisant quelques recherches sur la première de couverture de "Junk", je me suis aperçue que cette dernière changeait fortement en fonction des différentes maisons d'édition.
J'ai donc décidé d'en sélectionner quatre et de les analyser.

Tout d'abord, la première, présentée par Folio:

Ma première impression est que le violet constitue la couleur dominante. En effet, le nom de l'auteur est inscrit en violet et on retrouve cette couleur dans les cheveux de la jeune fille (supposément Gemma), sur ses lèvres , ses paupières, ainsi qu'en vernis à ongles.
Quelque peu curieuse et ayant tendance à pousser loin la réflexion, j'ai recherché si le violet n'avait pas une signification particulièrement.
Je n'ai malheureusement rien trouvé de signifiant, la signification des couleurs changeant, de plus, d'un site à l'autre. L'élément le plus pertinent que j'ai pu dénicher est celui-ci: le violet serait, en partie, associé des émotions telles la mélancolie ou la solitude. Des sentiments qui traversent véritablement le roman, donc.

Ensuite, nous pouvons observer, sur cette illustration, plusieurs choses: le buste d'une jeune fille qui a manifestement un style "punk". J'interprète ce visage comme étant celui de Gemma lorsqu'elle découvre, lors d'un concert de rock, ce style dans lequel elle se sent si bien, le problème majeur étant qu'elle fera également connaissance avec la drogue, plus précisément la drogue dure.

À propos de drogue, on peut y voir une seringue que le personnage a dans ses mains. Le ton est donné et le lecteur sait, dès lors, de quoi le livre parlera (au cas où il ne l'aura pas déjà compris en lisant le titre).
Des plumes, à droite, sont également accrochées, dirait-on, à la seringue. J'interprète cela comme l'illusion de liberté, de folie ou d'amusement que la drogue peut donner à ses consommateurs, une véritable impression, fausse évidemment, de mettre davantage de brillance à sa vie.
Gemma l'apprendra à ses dépends.

À propos d'illusion de joie intense ou de liberté que la prise de drogue peut engendrer, j'aimerai vous montrer une vidéo illustrant parfaitement ce principe:


Voici la seconde couverture venue tout droit de chez Gallimard Jeunesse:


Décidément, le violet est à l'honneur! Le fond entier de cette première de couverture lui est dédié!
De cette couverture se dégage une impression encore plus glauque que la précédente et l'on se dit directement que l'histoire ne sera pas des plus joyeuses.

Encore une fois, j’interprète la jeune fille de l'illustration comme étant Gemma. J'éprouve, en la regardant, un profond malaise. peut-être est-ce dû à la couleur verdâtre de sa peau. Celle-ci contraste profondément avec le violet du fond.

Un élément primordial est le garrot que la jeune fille a sur le bras, cela nous replonge totalement dans le monde de la drogue et de ses souffrances. À l'inverse de la précédente première de couverture, celle-ci reflète la destruction et les ravages que provoque la drogue.

Enfin, "Junk" est indiqué au milieu de la couverture en grandes lettres blanches. Celles-ci ne font que renforcer, à mon sens, l'impression générale.

Passons à la troisième première de couverture, tirée de Scripto (toujours chez Gallimard Jeunesse):


Cette première de couverture se révèle  extrêmement parlante et il n'y a pas grand chose à en dire.
Le fond est entièrement noir. "Junk" est inscrit, sur la gauche, en énormes lettres vertes.
On peut également y voir une seringue géante.
Parlant, clair, explicite.

Je trouve néanmoins que cette première de couverture se distingue des deux autres de par sa sobriété. Elle me donne bien plus envie de lire le roman que les deux précédentes.

Une dernière pour la route:


Celle-ci est tirée d'une édition anglaise.
Je dois bien l'avouer, elle est ma préférée parmi les quatre.
Elle représente un pissenlit qui doucement s'envole, tout cela sur le fond vert de l'espoir.

Il y a deux interprétations possibles à la signification de cette couverture.
Premièrement, elle me donne un goût d'optimisme et que tout, au final, finira bien. Cette couverture me laisse rêveuse et je ne peux m'empêcher de penser à d'hypothétiques enfants qui soufflent sur le pissenlit, à cette gaieté et espérance...

La deuxième interprétation s'ancre davantage dans la réalité du livre: dans celui-ci, le pissenlit constitue le symbole de l'amour entre Nico et Gemma. Quand Gemma n'était pas encore tombée amoureuse de Nico, celle-ci lui répondait "Pissenlit" en réponse à ses "Je t'aime".
Ce symbole provient, de plus, des peintures de Nico représentant des pissenlits.