jeudi 26 mars 2015

"Des fleurs pour Algernon" - Daniel Keyes


Réflexion autour d'un thème: l'intelligence

"Des fleurs pour Algernon", ou une véritable quête de l'intelligence... L'ouvrage entier tourne véritablement autour de cette notion.
Mais au fond, qu'est-ce vraiment que l'intelligence? Consiste-t-elle en la possibilité de résoudre des équations atrocement compliquées? Ou à écrire sans fautes d'orthographe? Ou encore à philosopher sur le sens de la vie?
Et l'intelligence serait-elle quantifiable, à défaut d'être qualifiable?

Après de multiples interrogations et étant septique quant à l'existence d'une SEULE intelligence, j'ai voulu effectuer quelques recherches au sujet de la définition même d'intelligence. Pour moi, ce mot renvoyait dès le départ à une notion de multiplicité.

Tout d'abord, il faut savoir qu'il est extrêmement difficile de donner une définition claire et précise de l'intelligence. Aucune ne fait vraiment l'unanimité.
La raison en est probablement que ce terme renvoie à des capacités multiples et variées. En effet, dire que Baudelaire devait être très intelligent pour rédiger d'aussi beaux poèmes, ou qu'il faut être intelligent pour installer, dans sa maison, l'éclairage électrique, ne signifie pas grand chose et le mot "intelligent" finit, de mon point de vue, par se vider de tout sens.
En bref, l'intelligence peut revêtir plusieurs définitions. En voici quelques-unes que j'ai trouvées lors de mes recherches:

  • Faculté à s'adapter à de nouvelles situations.
  • Capacité à comprendre et à manier les idées (quelles idées et que veut dire comprendre et manier? Mystère et boule de gomme!)
  • Capacité à agir dans un but déterminé, à penser rationnellement et à avoir des rapports efficaces avec son environnement.
  • Faculté de connaître et d'agir selon les circonstances, de façon propre aux êtres animés.
Comme nous pouvons le constater, la notion générale d'intelligence englobe plusieurs éléments, plusieurs capacités. Elle n'est donc pas une simple question de connaissances. 

Vous l'aurez compris, il est extrêmement difficile de mesurer l'intelligence d'une personne dans sa totalité. Et c'est là que je fais entrer en scène les fameux tests de QI qui prétendent mesurer avec exactitude l'intelligence. Ceux-ci font évidemment débat et posent question, non sans raison.
Dans le livre, Charlie subit, tout au long de son évolution et puis de sa régression, un certain nombre de tests dont quelques tests de QI. Mais ces célébrissimes tests mesurent-ils vraiment l'intelligence?
Ayant un sérieux doute, j'ai également effectué quelques recherches sur le sujet.

Un test de QI consiste en le résultat d'un test psychométrique, c'est-à-dire que lorsqu'on le lie avec d'autres éléments d'un examen psychologique, il fournit une indication quantifiée de l'intelligence d'une personne. Cependant, il serait erroné d'énoncer avec certitude que ce genre de test mesure réellement l'intelligence. J'ajouterai d'ailleurs qu'il serait plus adapté de préciser qu'il établit des comparaisons sur les capacités d'un individu par rapport à une norme, une population de référence, la moyenne étant située à 100 de quotient intellectuel.
Dès lors, il serait plus juste de dire que ce type de test fournit un indice sur la vivacité intellectuelle de l'individu testé.

Ensuite, j'ai également appris que certains scientifiques posent même la question de la validité scientifique d'un test de QI. En effet, comment une note unique pourrait-elle rendre compte de la structure interne et complexe de l'intelligence? Impossible!
De plus, les tests de QI ne permettent de mesurer qu'une certaine forme de l'intelligence: la capacité à employer le langage pour penser et exprimer des idées (intelligence verbale) et celle qui nous rend aptes à calculer, à mesurer et à faire preuve de logique dans la résolution de problèmes (intelligence logico-mathématique). Il s'agit donc de faire preuve de prudence lorsque l'on évoque ces tests!

D'ailleurs, un psychologue américain et également professeur de psychologie à Harvard, Howard Gardner, proposa, dès 1983, un modèle des "Intelligences multiples", rendant mieux compte de la diversité de nos facultés. 
D'après Gardner, il existerait huit types d'intelligences: linguistique, logico-mathématique, kinétique, intrapersonnelle, interpersonnelle, musicale, naturaliste et visuelle-spatiale.

Il a été prouvé que chaque personne possède plusieurs types d'intelligence. Il est donc stupide de vouloir enfermer quelqu'un dans une seule intelligence (ou non-intelligence pour certains), comme il était stupide de la part des chercheurs de vouloir rendre Charlie à tout prix "intelligent" puisqu'à sa manière il l'était déjà.
Vous comprendrez donc pourquoi le mot "intelligent" sera, dans la suite de ce compte-rendu, mis entre guillemets.

Sources


Commençons par le début. Lorsque l'on ouvre ce livre, nous tombons directement sur un extrait de la "République" de Platon. Ceci est particulièrement parlant et je le trouve véritablement adéquat.
De l'obscurité vers la lumière et de la lumière vers l'obscurité...
Ainsi, Charlie, le héros de l'histoire, vivra, ou subira, terme plus juste, une véritable expédition cognitive, devenant progressivement plus "intelligent" et verra, au fil du temps, ses incroyables capacités décliner.
L'intelligence nous permettrait donc de passer du monde sensible au monde intelligible et inversement. Intéressant.

Ensuite, il faut, bien entendu, saluer la magnifique performance de l'auteur: celui-ci, en faisant rédiger à Charlie un journal sous forme de comptes-rendus, frise la perfection et permet une parfaite adéquation entre le fond et la forme du roman. Petit à petit, nous suivons Charlie dans tous ses progrès, à la conquête du Saint-Graal que représente l'"intelligence".
Le personnage est touchant et on vit véritablement ce qui lui arrive à travers lui.

Au-delà de la prouesse stylistique, ce livre suscite de multiples interrogations. L'un des médecins dira d'ailleurs à Charlie: "Plus tu deviendras intelligent, plus tu auras de problèmes, Charlie".
Est-ce vrai? Je n'en sais rien et n'ai pas nécessairement envie d'être aussi catégorique que ça.
Bien sûr, je vous avoue que j'aimerai , par moment, arriver à ne plus rien penser, juste une minute ou deux. Cela me semblerait bien reposant.
L'intelligence est-elle source de problèmes? En voilà une belle question pour un bac philo!
Je répondrai que la connaissance entraîne presqu'automatiquement - Du moins, on peut l'espérer! - une prise de conscience et que celle-ci peut se révéler plus que douloureuse, mais également nécessaire, vitale. Comme dit le dicton: "L'intelligence ne fait pas le bonheur", et c'est pourquoi cette "intelligence" se doit de déboucher sur quelque chose.

Ainsi, plus Charlie devient "intelligent", plus celui-ci découvre que la plupart de ses relations et des éléments de sa vie auxquels il croyait sont, en réalité, basées sur un mensonge ou, en tout cas, ne sont pas aussi sincères qu'il l'eut cru.
En tant que lectrice, j'ai pu ressentir la détresse de Charlie et même la partager. En effet, qui n'a pas un jour, en un éclair de lucidité, découvert que les êtres à qui l'on tient sont bien différents de ce que l'on se prêtait à croire?
Peut-être est-ce d'ailleurs ce genre d'expériences qui nous fait, parfois malgré nous, grandir et évoluer...

Un deuxième questionnement consiste en les relations sociales de Charlie une fois devenu "intelligent". Que vaut l'intelligence sans une capacité d'empathie ou du moins, sans une certaine sensibilité?
Evidemment, l'on s'aperçoit très vite que Charlie vit en profond décalage entre ses phénoménales capacités d'apprentissage et les relations humaines qu'il développe. Ce décalage se traduira surtout dans la relation qu'il entreprendra avec Alice Kinian.
Et lorsque commence à se laisser pressentir la fin, l'on ne peut s'empêcher de se demander si finalement... Ce n'est pas mieux comme ça. "Intelligent" mais malheureux, ou moins "intelligent" - De façon différente, dirons-nous - mais heureux? Voici un cruel dilemme.
Cependant, Charlie n'aura pas ce choix.

Progressivement, nous voilà trahis, nous, lecteurs. C'est en tout cas mon sentiment. Jusqu'au bout l'on s'accroche à un possible retournement de situation, jusqu'au bout l'on espère. Et pourtant...
Voilà Charlie redevenu comme avant. Simplement Charlie. L'espoir s'effondre.
Peut-être est-ce mieux comme ça et comme le dit un certain Camus, il faut imaginer Sisyphe heureux...

En conclusion, j'aimerai simplement ajouter que selon moi, l'intelligence au simple service de l'intelligence ne mène à rien. Celle-ci doit toujours être au service, d'abord, d'une prise de conscience et ensuite, doit servir à autre chose, un rêve, un objectif, un but, que sais-je...
L'intelligence sans conscience ne vaut rien.